L'histoire du nom Maghlout

Je fuyais le Maroc. J’avais enjambé Gibraltar et je traversais l’Espagne. Pays rempli de tristesse alors, c’était en 1968. Je n’avais pas l’intention de venir ici en Bretagne mais les filières ont la vie dure ! Les familles basques qui m’ont logé étaient conservatrices sur ce plan-là. Deux générations de passeurs, de secrets, d’adresses et de recommandations sûres, des familles fidèles. Alors me voilà parti vers la Bretagne. Saint-Malo ou Saint-Brieuc appris-je, exactement comme pendant la guerre civile, en 1937. J’arrive ainsi sur les quais d’un port gris et vaste. Des hauturiers verts, du bois sur les docks et partout de la saleté, dans l’eau, sous les remparts. On était en hiver, sortie de tempête et j’étais éberlué par l’insolence de la ville close. Alors que j’y pénétrai, j’ai été abordé par des policiers : – Faut pas rester là, monsieur. On va nettoyer. Les rues étaient en effet jonchées de papiers, d’objets brisés, de bois et de vêtements perdus. Des tables étaient renversées, une vitrine était à terre. Mais ils n’entendaient pas ce nettoyage-là : j’entendis une clameur et je vis un groupe agité reculer dans une des rues que j’apercevais derrière. Il y avait bagarre. – Mais vous êtes en sang ! En effet, je m’étais cogné la tête contre une palette en sautant une grille. Un évènement sans importance dans la journée d’un fuyard ! Mais je tombais dans ce contexte-là et je dus m’expliquer. Alors je me contentais de répondre aux idées des policiers au pied de leur camion : une victime des violences du jour, voilà qui ils avaient envie que je sois. Je leur décrivis mon agresseur, dressant le portrait le plus fidèle possible de Roger Piantoni à partir du poster qui avait bleui dans la chambre de mes frères. Ça attribuait une redoutable humanité à cette palette ! Ils inscrivirent tout cela soigneusement et voulurent prendre sous ma dictée mon nom. Décidé à rire jusqu’au bout, j’inventai mon nouveau nom sur place dans un marocain dialectal aussi sûr qu’un code secret : celui qui maintenant prétend s’appeler ainsi qu’il le dit. J’obtins le carbone de ma déposition. Je me fis soigner à l’hôpital sous mon nouveau nom. Et c’est comme cela que j’entrai pour la deuxième fois dans les archives de la France : je devenais celui que je prétendais être. Mon vrai nom est resté au Maroc, inutilisé. Ou alors peut-être par mes frères quand ils ont besoin d’un prête-nom pour leurs trafics.


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