Présence, absence

Maghlout a trouvé à la réception un message de Martin qui lui disait en gros à bientôt j’espère. L’inaccoutumé des lits d’hôtel s’en va presque titubant d’une nuit pleine. Il a des gestes d’épaule comme s’il sentait encore les draps sur lui. Au carrefour, il regarde et se demande. Son regard s’arrête, étonné, sur une enseigne jaune. Jaune enfantin de confiance et pourtant aussi symbole de la trahison. Pourquoi pense-t-il encore à la trahison ? Il passe devant le bureau de Poste en se souvenant des rares courriers qui sont parvenus jusqu’à lui. Cela fait bien longtemps par exemple qu’il n’a pas lu les vociférations d’un de ses frères ainés : « Maghlout, petit frère ! J’espère que ton orgueil se porte bien ! Car c’est ainsi que tu vas, je le sais. Si tu es toujours aussi orgueilleux, alors tu es en bonne santé ! C’est ce qui te tient. Mais tu deviens vieux toi aussi et j’espère que tu es seul et errant, frère indigne !, et surtout que tu gardes pour toi seul la honte dont tu es fier, que tu n’embobine personne. Chien ! De la prison – car oui, à mon âge on me garde encore en prison ! –, je le dis : tu es encore moins que moi, tu as abandonné tes frères et ton père. Fuyard, Genghis Khan ! Est-ce donc de cela dont tu seras fier jusqu’au bout de vie ? » Ou des souvenirs d’amitié, « D’Alexandre. Mon ami, la journée, je suis corps perdu dans le travail. Le soir, mon esprit pense encore au travail. Seule la nuit, avec beaucoup de littérature et de musique commence à faire venir la vie et là, peu à peu, je pénètre dans le cœur des gens. Plus je vois les grandes choses qui se construisent, plus je pense aux petites choses, aux gens et à leurs enfants. Nous en avons déjà discuté, n’est-ce pas Maghlout ? Mais nous butions toujours au fond sur cette question : quelle est la véritable expression des gens ? Souvent nous nous crispions là dessus. Je devine que cela te rendait malheureux. Mais il fallait bien que je te dise que, malgré ta belle assurance, tu avais tort aussi. Je pense souvent à toi, ô prophète ! » L’orgueil et l’inutile volonté d’avoir des réponses, oui ! Maghlout ne s’en est-il donc pas encore débarrassé ? Malédiction ! Il se met à marcher. Vite, très vite. Sortir et continuer le long chemin. Une fois sur l’herbe haute de la porte de Bréquigny, il s’arrête brusquement : Qui sont les gens réalistes et sensibles ? Ça lui colle encore au nez cette question. Autour de lui, les arbres continuent leur pousse – ils ont l’ambition de la forêt mais doutent quand même de leur avenir, le bruit de la route les inquiètent. Ils poursuivent cependant leur aspiration de gaz, libérant à nouveau de l’oxygène. En dessous sur la route passent quantités de gens et de camions de bêtes. Dans la petite lucarne de verdure que lui laissent les arbres et le vent, Maghlout voit toute la succession de bolides sans possibilité d’accorder longuement son attention à l’un d’eux – Roadrunner a-t-il quand même lu sur un seize tonnes. Comment arrêter l’un, comment arrêter l’autre et lui demander comment il se sent réaliste et sensible ? Insensible et réaliste, irréaliste et sensible, irréaliste et insensible ? Maglhout reprend sa marche. De bosquet en bosquet, de butte en butte, le long des palissades, sur et sous les ponts, il avance, saute vivement les bretelles. Il n’est pas essoufflé, ses pas et ses enjambées sont faciles, grandes, sûres et rapides. Il saute un triangle d’herbe rase, un grand plot en plastique vert. Ramenant sa large capuche sur son front, il ferme les yeux et traverse d’un bond les trois mètres de bitume. Il enjambe les ajoncs, survole en courant une autre butte, sans se soucier des épines. Dans sa course, il agrippe sa gourde.


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