Martin, au bout de la cigarette

Oui, bien sûr, il y a eu un premier soir. Mais on ne le sait pas. Ce soir devient le premier parce qu’il y en a eu d’autres après, un deuxième, un troisième. Après, les soirs font vite la semaine et bientôt tu perds le compte, tout a changé. D’autres habitudes se mettent en place, celle par exemple de téléphoner « je rentre. » Ça fait quinze jours ou trois semaines. Tu arrives, tu poses ton sac dans l’entrée et pas directement dans la chambre. T’es comme un invité. Tu programmes la machine à laver, tu laisses dans un coin du frigo ton casse-croûte pour le dimanche soir, quand tu repartiras avec le linge sec. Tu ne rentres pas chez toi, tu vas voir ta femme et tes enfants qui habitent une maison où la vie s’est organisée sans toi. Il y a pourtant des moments délicieux ces jours-là, crois-moi ! On se retrouve, on joue, on s’aime. Mais quand même, le cœur se pince. Et puis avec l’habitude, il ne pince plus autant. Alors oui, il y a eu des premiers soirs. Peut-être un de ceux où tu fumes une cigarette dehors dans le jardin. Il commence à faire vraiment nuit. Les nuages s’amassent mais laissent encore voir la lune. Il pleuvra demain, alors la lune est belle à prendre comme un cadeau. Un tout petit morceau d’exceptionnel et aussi une permanence, elle qui survivra aux nuages et à la pluie. On se dit je pourrais partir maintenant. Là, tout de suite. Tu es à trois mètres de la porte de la maison et tout près du portail. Tout glisse comme ça, tu es déjà parti. Voilà. De toutes petites choses. Mais il y a aussi un appel immense et permanent à prendre la route, depuis longtemps tu le sais ! On baigne dedans, on le respire avec l’air, et puis soudain une émotion submerge. Face à la mer, à l’horizon, dans une photo, à l’intérieur d’une musique, dans la phrase d’un livre, au bout d’une cigarette. C’est l’oxygène, la liberté qui nous montre de quoi on dépend, de ce à quoi on a dit oui. La liberté nous dit ce qui nous fixe. Rares sont ceux qui savent faire les bons nœuds d’attache. Moi, je me dit que la fin de l’usine a coupé tout. Mais ce n’est pas entièrement vrai sans doute. J’avais déjà répondu à l’appel du monde. Et si tu ne retournais pas au travail demain ? Qu’est-ce que ça changerait ? Pour qui finalement ? Il y a mille autres façons de passer son temps, d’aimer et de vivre. J’ai beaucoup discuté de tout ça avec Guillaume. Et nous voilà partis.


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