Tina chez Guillaume

– Qui elle est ton invitée du soir, Guillaume ? Je t’en ai déjà beaucoup dit je trouve en te racontant mon voyage ! Je suis une drôle de fugueuse, hein ? Je fugue ma « seconde de détermination » ! Tu devrais t’inquiéter, détournement de mineure, ça peut chercher loin… – Je n’ai pas peur. T’as seize ans quand même. Est-ce un crime d’héberger une ado ? – Ce serait plutôt être ado qui est un crime, ou plutôt un châtiment… Une accumulation de petits non fiévreux, instinctifs qui ne se rassemblent jamais en quelque chose de construit et que la fille qui est devant toi est bien obligée de prendre quand même ! – Tu n’as pas l’air d’être si malheureuse que ça, non ? – Disons que je me tisse un patchwork alors que d’autres je crois fabriquent déjà leur costume. Je n’ai pas grand chose à moi, j’ai l’impression d’être le nègre de ma vie, mon reporter, clic ! Clic ! Clic-Clac !, on fait son lit comme on couche ! – Eh ben… – Oups, désolée… Ce que je voulais dire, c’est comme si on existait juste pour découvrir les choses. – Peut-être ! Sauf que ce n’est pas un un jeu de piste non plus, rien n’est préparé à l’avance, tu vois ? Mais tu as raison aussi, la vie est là. – Non, elle n’est pas là. Les adultes la désignent toujours comme quelque chose qu’il faut attendre… – Ne t’inquiète pas, des fois elle te saute au visage, hop ! Et là, il ne s’agit plus de fuir. – Je ne fuis rien ! – Je ne sais pas, mais j’ai envie de te poser la question. T’es en fuite ? – Pas ce mot s’il te plait, il est vulgaire. Fugue est beaucoup plus joli, déjà. C’est musical. Non je ne fuis rien. Je marche, un peu plus loin que d’habitude. La ville, je la connais par cœur. Je ne sais plus ce que je vois quand je suis là-bas. J’ai envie d’un autre regard, à moi. – Oui mais le reste ? L’école, ta… – Oh, hé, arrête ! T’as vu où tu habites, toi ? Dans un camion ! Même pas de famille ! – J’ai fini l’école moi ! – Moi je la termine aujourd’hui, voilà. Est-ce que c’est de ma faute si l’école prend tout le temps ? Des années, à ne faire que ça ! L’école, c’est l’obligation, « reste scotchée là et ne fait rien d’autre. Tu verras plus tard ! » Même pas le temps de prendre son temps. – T’as que seize ans. – Là, on va commencer à parler famille, alors… – Non, il est tard, tu veux dormir dans le camion ? Il faut que j’y aille, je vais travailler toute la nuit. – OK. Mais dis-moi quand même, qu’est-ce que ça fait de pas avoir de maison, de direction ?