Retour au Vivier

Dans l’après-midi, Maghlout de ses grands pas revient du côté de chez Davis. Après ce périple, il serait temps qu’il lui rende compte de sa mission mais la maison est vide. Les clés sont dans leur cache, douche et café sans l’ami. Désœuvré, Maghlout feuillette un journal, un moment fasciné cette tentative désespérée de regrouper chaque jour des choses hétéroclites, oubliées demain. Vain mais touchant, exotique. Maghlout se souvient des livres d’images de son enfance. Il ressort et songe le long de la D29, jusqu’au rond-point. Un camion à plateau s’y engage et Maghlout soudain est attentif. Dessus est juchée une caravane vieille et crasseuse. – Je la connais, celle-ci ! Et il se remémore : une belle caravane des Trente Glorieuses, mitée de points et de plaques grises là où le champignon a mangé le plastique. Des fenêtres orangées, bombées. Une poignée cassée, une autre arrachée au début de la fissure recollée avec un mélange de colle et de sacs plastiques fondus. Et quatre très fines roues, fragiles, enjolivées d’aluminium et pompeusement couronnées de garde-boue. Une silhouette un peu en flèche vers l’avant comme pour fendre l’air derrière la voiture et le gracile trio de poutrelles pour l’accroche. Oui, c’est bien cette caravane-là que le camion emporte, celle de la Fracasse. Maghlout prend alors la petite route de Saint-Sulpice. Celle qui avait le droit il y encore quelques années, se souvient-il, d’aller jusqu’à Rennes. Mais la construction de la rocade et les aménagements encore en cours plus haut la font désormais commencer ici. Son histoire doit subsister en pointillés sur quelque carte ancienne, ou dans la mémoire des passants. Au lieu-dit Tihouït, il y a donc le Château de la Fracasse : un petit quadrilatère de terrain le long de la route, ceinturé d’une vieille et courte haie de piquants, une cabane usée, cloutée, rendue aveugle sur la route par de l’agglo et du polystyrène. Le reste : des herbes folles, carcasse de voiture, un vieux pommier, deux poiriers tortueux, du bois coupé. Mais surtout cinq beaux arbres qui cachent le tout et remplissent le domaine. Une place vide de caravane. Et à partir de cet endroit d’herbe jaunie, l’Héritier, le fils de la Fracasse s’active déjà à défricher les herbes. Maghlout l’interpelle joyeusement. Le fils lève la tête et lâche sa faucille : – Hé, Maghlout ! Tu cherches du travail ? J’en ai ! – Non merci, Julien. J’ai déjà travaillé la semaine dernière chez les Gandais. Mais dis-moi, que se passe-t-il ? Aurais-tu enfin des nouvelles de ton père ?