Surveillance

M. Marc demande à revoir les images. Le policier municipal part en régie relancer le petit montage. Aucun doute, il s’agit bien de Tina mais M. Marc veut revoir. Il veut peut-être vérifier mais peut-être aussi se complaire dans le malaise qu’il ressent. Il ne sait pas. Dans la régie, derrière la vitre, des moniteurs diffusent pendant ce temps d’autres images en direct : des gens dans les bus, des gens aux arrêts, des gens dans le métro, des gens qui attendent et d’autres qui passent furtivement. Quelques immobiles sur lesquels la caméra zoome automatiquement. M. Marc se sent légèrement coupable. Les seules images de vidéosurveillance qu’il a vu avant celles-ci, c’était dans un petit supermarché de quartier tandis qu’il attendait un rendez-vous avec le directeur, il ne sait plus pourquoi. Les mêmes écrans devant lui aujourd’hui, braqués sur sa ville. Mais ces images repartent à droite sur le petit moniteur et M. Marc regarde malgré lui. Il doit faire un effort pour trouver, là dans le soufflet du bus, sa fille. Coupure. Nouveau bus, cette fois elle est assise dos tourné, capuche sur la tête. Quelqu’un lui parle, elle dégage son visage, c’est bien elle. La bouille familière, étrangement reconnaissable malgré le contexte. Est-elle fatiguée, joyeuse, comment va-t-elle ? Où va-t-elle ? Les écrans sont muets sur ce point. M. Marc est-il heureux ? Non. Et il dit brusquement au policier : – Je m’en vais. Détruisez ces images. – Oh oui, bien sûr monsieur ! En fait, on avait pas le droit de vous les montrer. C’est une faveur qu’on vous a fait avec les collègues. Monsieur d’Horteuil… Et puis c’est votre fille… M. Marc s’en va furieux à travers les couloirs sombres. Il pousse violemment la porte de sortie et se retrouve dans la foule, sur le trottoir, au pied du Colombier, parmi les gens. Sous les caméras. – Mais qu’ai-je fait ?


Tête baissée, sans faire attention à sa ville chérie, M. Marc a rejoint son appartement. Mécaniquement, il ouvre la porte, sans même réaliser qu’il pourrait y retrouver Tina. Son cœur s’accélère lorsqu’il constate les traces d’un passage très récent. Des habits sales, des propres emportés. La douche encore humide. Quelques chèques qui manquent. Un mot Je vais bien, j’ai pris l’appareil photo. Prochaine étape, château Tihouït. Mais le trousseau de clés laissé bien en évidence. La table de chevet et le tiroir à secrets vidé. Et c’est quoi Tihouït, c’est où dans le monde Tihouït ? M. Marc a son téléphone comme un mauvais réflexe dans ses mains. Il appelle D’Horteuil. Il n’a qu’une seule envie, serrer sa fille dans ses bras, mais supporte mal d’être seul subitement. Il se sert un whisky et interroge : Ô mes amis, où êtes-vous ? Qu’êtes-vous devenus ? Pourquoi n’êtes-vous pas là aujourd’hui, au-delà d’un numéro de téléphone ? J’ai dû me tromper, sûrement je n’ai pas vu, je me suis enfermé… Pourquoi ne me l’avez-vous pas dit ? M. Marc se rapproche de sa fenêtre, du haut des Horizons, il laisse planer ces pensées mauvaises. Elles ne dureront pas. Il regarde Rennes, l’œuvre de lui et de ses amis, de Chantal et de ses maîtres, de ses enseignants, des idées vingtième siècle, de la paix et des guerres passées… On a laissé plein de choses se faire, il est sans doute temps de réinvestir, pense Gwenaël Marc, d’ailleurs Tina le fait-elle peut-être à sa façon ? L’amertume de l’édile plane un moment et elle retombe, doucement, sur les gens réels. Les gens qui vivent sans plan ni prospective, subissant la ville mais qui n’en veulent pas du tout à cet homme qui doute, seul à sa fenêtre.


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