Ce que sont les acquis

Huitres, muscadet, tourteaux et bigorneaux hier soir. M. et Mme Mane sont arrivés un peu plus tard qu’annoncé mais les mains pleines. Ils étaient très gais. La soirée fut une petite fête et maman était très belle. Fatiguée, mais remaquillée et heureuse. Ce matin fut passé à se préoccuper de Davis et des multiples riens administratifs. M. Mane a pu voir le paysagiste pour planifier les entretiens du printemps et les plantations. Il y a pris du plaisir à rendre possibles ces efflorescences. Quelques disques passés après le repas, Child in time, A Wreck on the Highway, I will follow, I wish I can feel what’s to be Free, Paint it Black et le très long Do you fell the way that I feel ? Que des tubes sortis de la discographie paternelle. Langage, prémonition, déclaration, annonciation, chants de Noël ! Davis regarde le soleil tomber derrière les arbres, à travers la vitre du salon de la maison. Les ragosses se lancent et, sur fond du soleil large et rouge du soir, elles dessinent quelque chose de tordu, d’obstiné, d’aléatoire, de sentimental. Forcées, torturées mais libres les ragosses, nobles – une petitesse magnifiée dans l’astre. Les parents de Davis sont repartis. Ce mercredi ressemble à un dimanche rapide. Un weekend en semaine, opportunité rendue possible par les métiers de M. et Mme Mane – et par la situation de Davis aussi. Ça s’est passé à l’apéritif ce midi. M. et Mme Mane s’étaient assis au milieu du canapé, tout proches, enlacés. Excités et bientôt soulagés par ce qu’ils avaient à annoncer. Lui, de mauvais poil dans sa chaise adaptée, demi-assis demi allongé. – Tu vois qui est Mayol ? Celui que nous parrainons depuis dix ans avec l’association ? Il envoie à toi son « grand frère » un dessin tous les ans, a dit le père. – Eh bien, c’est ça, reprend la mère. Nous avons fini les démarches d’adoption. Il arrive samedi à Roissy. Nous serons là tous ensemble dimanche, a conclu la mère. Davis se décroche de la baie vitrée à travers de laquelle le soleil s’en va. Il est encore stupéfait de la désinvolture dont ont fait preuve, encore à son égard, ses parents. Son regard erre dans le salon vide. – Mais enfin mon chéri, toi tu es né entre l’âne et le bœuf ! Ce n’est pas pareil. Heureusement qu’il sait se débrouiller, le Jésus déchu ! Évidemment, cela fait longtemps que Mayol et lui se parlent sur Internet. Depuis au moins un an. C’est le jeune Péruvien qui l’a trouvé et qui a pris l’initiative. Il lui a confié ses rêves, son admiration pour Davis ce frère lointain et bénéfique, sa volonté d’être au monde et comment il travaillait déjà dur son français. Davis rage, monte à l’étage et lui envoie un nouveau message : « Voilà comment je vois les choses : tu marcheras pour moi. Quand tu seras installé ici, passé les cérémonies, il y aura la symbolique visite au centre commercial, le temple si tu veux. Ça se passe comme ça chez nous. Eh bien là, je t’achèterai une solide paire de Pataugaz, pas vraiment à la mode mais très sûres à la marche. Tu seras heureux, je t’attends p’tit con… »


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